
Le nouvel hybride : l’humain et l’IA
ou le générativisme
Un webinaire récent a mis en lumière une question fondamentale pour l’avenir de l’éducation : qui doit piloter l’intégration de l’intelligence artificielle dans nos systèmes éducatifs ?
La professeure Mairéad Pratschke, de l’Université de Manchester, est l’auteure du livre Generative AI and Education : Digital Pedagogies, Teaching Innovation and Learning Design. En octobre 2024, elle a animé un webinaire de Contact Nord intitulé Generative AI and Education : The New Hybrid, où elle a présenté les idées clés de son ouvrage. Ce billet en présente quelques-unes de ces idées que nous jugions pertinentes dans le cadre de notre veille.
Le lancement à grande échelle de ChatGPT-3.5 en novembre 2022 a provoqué un vent de panique dans le monde académique. Confrontée d’une part aux craintes du corps professoral quant à une potentielle «obsolescence» de leur profession, et d’autre part au battage médiatique enthousiaste de l’industrie technologique, la professeure Pratschke a voulu combler ce large fossé par la publication de son livre en août 2024.
Mais qui contrôle l’IA en éducation?
Cette question cruciale a ouvert le webinaire. S’inspirant des réflexions de Tony Bates (lire notre billet à ce sujet), la professeure Pratschke la professeure s’interroge sur les enjeux majeurs : quelles seraient les conséquences si les acteurs académiques — universitaires, pédagogues, équipes de recherche et personnes étudiantes — ne participaient pas activement dans le rôle que prendra le développement de l’IA dans le domaine éducatif? Quels risques y aurait-il à laisser ces décisions stratégiques aux seules entreprises technologiques?
«Nous n’avons plus de temps à perdre», a-t-elle souligné, puisqu’il importe de mobiliser la technologie pour servir l’enseignement et l’apprentissage. Elle a rappelé un fait historique souvent oublié : «La quête pour créer des machines intelligentes utilisant le langage naturel n’était pas une initiative de l’industrie. C’était celle d’un groupe d’universitaires et d’éducateurs réunis à Dartmouth en 1956. »
L’écosystème de l’intelligence artificielle
Les pédagogues universitaires font l’utilisation de certains outils ou innovations qu’ils ont appris à connaitre depuis les années 2000. Pensons à ces technologies ou innovations propulsées par le web social comme la visioconférence, la classe inversée, les CLOM, l’enseignement par les pairs ou l’apprentissage en réseau.
À l’ère du web 4.0, le panorama change. En tant que pédagogues, où nous mènent la réalité virtuelle, augmentée ou étendue, la robotique, l’internet des objets et, bien sûr, l’IA?
Web symbiotique : Source image – Dr. Mairéad Pratschke, Generative AI and Education: The New Hybrid (2024).

Depuis deux ans, nous évoluons dans un nouvel écosystème caractérisé d’une succession de mises à jour d’outils technologiques. «Il peut être très difficile, en tant qu’éducateur, de comprendre comment utiliser ces outils pour soutenir l’apprentissage, l’enseignement et la recherche», affirme la professeure Pratschke.
Le dilemme entre le contenu et la conception
Parmi les arguments couramment avancés en faveur de l’utilisation de l’IA en éducation, on pense à celui de l’automatisation des tâches chronophages. Pour illustrer cette efficacité, on a tendance à faire référence à des usages centrés sur la personne enseignante : la planification de cours, la génération de contenus et de questionnaires, l’automatisation de l’évaluation ou des rétroactions. Certes, l’intervention humaine est nécessaire pour accomplir ces tâches, mais l’auteure croit que cette efficacité n’est pas l’objectif à atteindre. «Veut-on générer du contenu ou concevoir des situations d’apprentissage?» Elle préfère adopter une posture centrée sur la personne étudiante, axée sur la personnalisation de l’apprentissage, le contenu adaptatif, les tuteurs intelligents, la combinaison de l’IA et de la rétroaction humaine, ainsi que l’évaluation authentique.
Un nouvel hybride
L’intelligence artificielle apporte une «présence». Cette présence peut, entre autres, être qualifiée de sociale (on bavarde avec elle), de multimodale (on interagit avec elle de différentes manières) ou encore de puissante (on apprécie sa vitesse et sa performance). Mais quelle place devons-nous accorder à cette présence en éducation? Pour l’auteure, cette «collaboration» constitue un nouvel hybride. Cet hybride n’est plus tant un apprentissage en ligne, présentiel ou mixte. «Cet hybride, c’est désormais l’humain et l’IA qui travaillent ensemble dans n’importe quel mode», précise-t-elle.
De la Connaissance à l’Intelligence assistée par l’IA
La professeure Pratschke propose une adaptation du modèle TPACK
Technological Pedagogical and Content Knowledge (Mishra et Koehler, 2006).

Son adaptation propose le modèle TPAIK (Technological Pedagogical and AI Knowledge) dans lequel elle imbrique le concept «Intelligence + AI». (Pratschke, 2024)

À l’heure de l’IA, elle estime que ce ne sont plus la connaissance pédagogique, la connaissance du contenu ou même de la technologie qui importent, mais bien de l’intelligence pédagogique, l’intelligence computationnelle et l’intelligence de contenu. «En quoi notre interaction avec l’IA modifie-t-elle notre façon d’enseigner, ce que nous devons apprendre ou nos connaissances technologiques?» questionne-t-elle.
Faisant référence au modèle TPACK, où les auteurs utilisent des lignes pointillées pour représenter le contexte, elle souligne que celui-ci a fondamentalement changé. «Je pense que l’IA est une technologie émergente et émergée. Cette technologie évolue rapidement. Il ne suffit donc pas de dire que nous avons appris à la connaître, puis de s’arrêter là,» conclut-elle.
Le générativisme, un nouveau paradigme
Différentes théories de l’apprentissage sont abordées dans les réflexions de la professeure Pratschke. Elle fait remarquer que l’apprentissage social, le constructivisme, l’apprentissage expérientiel et le connectivisme offrent à la personne apprenante la possibilité de s’engager activement pour de donner du sens à ce qu’elle apprend et de construire sa compréhension.
Dans le prolongement de l’apprentissage génératif de Whitlock, elle propose le terme « générativisme », une approche innovante de la conception et de la mise en œuvre de l’apprentissage avec l’IA. Le générativisme, basé sur une interaction critique et active avec l’IA générative par un dialogue non passif, mais critique avec les outils d’IA, constitue l’une des idées principales de son ouvrage. Il s’agit de «la manière dont nous créons l’apprentissage, en nous appuyant sur les théories de l’apprentissage, de l’éducation et de la formation, ainsi que sur les meilleures pratiques, les pédagogies numériques et les méthodologies éprouvées que nous utilisons depuis deux ou trois décennies».
Bibliographie
Pratschke, B. M. (2024). Generative AI and Education: Digital Pedagogies, Teaching Innovation and Learning Design. SpringerBriefs in Education. SpringerBriefs in Education.
Pour l’image d’entête : Logos pour une utilisation transparente de l’intelligence artificielle © 2023 by Martine Peters is licensed under CC BY-NC-SA 4.0