Décliner son identité dans ses publications scientifiques
Vie de chercheur et de chercheuse
Les pratiques d’autodéclaration (positionality statements) gagnent en popularité dans la littérature savante, nous apprend la revue Science dans son édition de novembre. De plus en plus répandue dans le domaine des sciences humaines et sociales, en particulier en Amérique du Nord, la diversité des manières d’énoncer ses ancrages dans le monde percole désormais dans d’autres cultures disciplinaires, notamment en biologie, en médecine et dans les divers domaines de la santé.
Signe des temps, un nombre grandissant de revues et maisons d’édition scientifiques suggèrent aux personnes qui soumettent un manuscrit d’expliciter leur identité ethnoculturelle ou de genre, leur statut professionnel ou leur ancrage géographique.
Pertinentes selon certains, incompatible avec l’objectivité scientifique selon d’autres, ces approches ne font pas consensus. Au-delà des clivages qu’elles suscitent, elles invitent à s’intéresser aux fondements de l’activité savante et, en particulier, au rôle qu’y joue le positionnement que veulent bien signaler ou prendre en compte les chercheurs et chercheuses dans le choix de leur objet de recherche et leurs façons de l’investiguer.
« D’où parlez-vous ? »
Pour les tenants des pratiques d’autodéclaration, intégrer à son propos des considérations sur ce qui nous constitue est « une invitation à réfléchir de façon élargie » au rôle des influences personnelles ou des biais potentiels qui sont susceptibles d’agir sur le design et les résultats de recherche. En plus d’un gain de réflexivité, de telles démarches de contextualisation auraient aussi pour mérite de se donner les moyens de questionner les dynamiques de pouvoir implicites qui existent entre les universitaires et les personnes ou communautés sur qui — ou avec qui — l’on crée de nouvelles connaissances.
Cette prise en compte de la dimension subjective ou incarnée de la recherche comporte aussi son lot de détracteurs. L’article de Science, à l’origine de ce billet, donne la parole à des universitaires qui sont d’avis qu’il faut juger de la qualité d’un texte indépendamment de l’identité de la personne qui l’a produit. Certains considèrent également que l’explication de sa position relève d’une forme de « vertu ostentatoire » (virtue signalling) qui a peu d’effets concrets sur les réalités étudiées.
Chose certaine, si les pratiques d’autodéclaration s’implantent dans le milieu de la recherche, elles ne sont pourtant pas nouvelles. En effet, elles tireraient leur origine de la philosophie féministe des sciences qui, depuis les années 1980, en particulier dans les travaux de Sandra Harding ou Donna Haraway, cherchent à mettre de l’avant la dimension située des pratiques de production du savoir.
Bibliographie
Zamzow, R. (2023, 3 novembre). Should Scientists Include Their Race, Gender, or Other Personal Details in Papers? Science, 382(6670). https://www.science.org/content/article/should-scientists-include-their-race-gender-or-other-personal-details-papers
Pour aller plus loin
Les Presses universitaires de Cambridge ont mis en ligne sur leur chaîne Youtube un webinaire en trois parties consacrées aux pratiques d’autodéclaration. La première partie (vidéo ci-dessous) explique le pourquoi de ces pratiques et suggère de se poser diverses questions à chaque étape du processus de recherche.
Les parties deux et trois montrent quant à elles comment rédiger une autodéclaration.