13 février 2025

Utilisation équitable et ressources éducatives libres au Canada

Un code de bonnes pratiques pour réutiliser légalement des œuvres protégées

Une exception au droit d’auteur est prévue par la loi pour réutiliser des œuvres protégées sans demander de permission

Plusieurs personnes enseignantes qui créent des ressources éducatives libres (REL) se demandent s’il est possible d’intégrer en toute légalité des œuvres protégées par le droit d’auteur pour améliorer l’expérience d’apprentissage des personnes étudiantes. La réponse courte à une telle interrogation pourrait être la suivante : « Oui, mais… ça dépend ! » Le diable se cache dans les détails, si bien qu’une véritable exige une certaine familiarité avec les subtilités de la Loi sur le droit d’auteur, et plus particulièrement avec l’exception relative à l’utilisation équitable.

Les personnes enseignantes ont tendance à renoncer à leur droit d’utilisation équitable, que ce soit par méconnaissance, ou en raison de diverses craintes, fondées ou non, qui existent en matière de droit d’auteur. On résume ces craintes par l’expression « Copyright chill ». Afin de lever ces embûches et de clarifier le champ des possibles pour les créateurs et créatrices de REL dans les établissements d’enseignement à travers le pays, l’Association canadienne des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC) a publié en 2024 un Code des bonnes pratiques en matière d’utilisation équitable des ressources éducatives libres.

L’objectif de cette publication est de renforcer les capacités d’actions de personnes enseignantes, en plus de stimuler la capacité des établissements à soutenir adéquatement leur personnel en la matière. Dans cet esprit, relevons les nombreux éléments à retenir de ce Code pour être en mesure d’augmenter notre pouvoir d’agir.

Pourquoi insérer une œuvre protégée dans une REL ?

Le code nomme « insertion » l’utilisation d’un « extrait d’une œuvre protégée provenant d’une source tierce » dans une REL (pp. 7-8). Plusieurs raisons peuvent motiver une personne créatrice à vouloir utiliser une telle insertion dans la REL qu’elle développe, que ce soit une image, une figure, un extrait textuel, vidéo ou sonore :

  • « apporter un soutien crucial aux objectifs pédagogiques en rendant les REL plus claires, plus engageantes et plus convaincantes » ;
  • « rendre les REL plus accessibles aux personnes apprenantes issues d’horizons, de circonstances et de capacités variés » ;
  • garantir l’accessibilité de la REL en réduisant les contraintes à l’accès qui pourraient poser « des risques particuliers pour les personnes en situation de handicap ». Par exemple, inclure un hyperlien vers une œuvre protégée dans une REL peut s’avérer plus complexe à consulter (et potentiellement moins pérenne) que le fait d’insérer l’œuvre dans la REL. (Pour en savoir plus sur l’accessibilité en contexte d’éducation ouverte, lire le billet que nous avons consacré à cet enjeu.)

Pour qu’une insertion soit justifiable, celle-ci doit être faite stratégiquement, c’est-à-dire qu’elle doit permettre de contribuer à l’atteinte des objectifs d’apprentissage de la ressource. Ainsi, il est difficilement possible de considérer comme étant équitable le fait de vouloir utiliser une œuvre protégée à des fins purement décoratives ou d’agrément.

Ce que dit la Loi sur le droit d’auteur concernant l’utilisation équitable

L’exception d’utilisation équitable, connue sous les appellations de « fair deal » au Canada anglais, et de « fair use » aux États-Unis, fait partie intégrante du cadre légal canadien régissant les droits d’auteur. En vertu du Code de Loi, elle accorde aux utilisateurs et utilisatrices « un droit limité de copier et de communiquer des œuvres protégées sans autorisation ni paiement, si certains facteurs de qualification sont remplis. »

Dans le cadre de la création d’une REL, comme dans tout autre contexte de réutilisation, deux étapes sont prévues pour mener à terme l’analyse permettant de déterminer si on peut se prévaloir de l’exception d’utilisation équitable.

  1. D’abord, il faut vérifier si le contexte d’utilisation de l’œuvre protégée est permis, car il doit relever de l’un des huit contextes suivants : la recherche, l’étude privée, l’éducation, la parodie, la satire, la critique ou le reportage d’actualité. Dans le cadre de la création de REL, le contexte est assurément éducatif et ne devrait donc pas poser de problème à cette étape.
  2. Ensuite, et c’est là où les choses se complexifient, l’utilisation de l’œuvre protégée doit être équitable. Pour déterminer si c’est le cas, on doit considérer six facteurs :
    • Le but de la copie : « Ce facteur examine le véritable objectif ou motif de l’utilisation dans la reproduction ou la distribution d’une œuvre. Les œuvres créées à des fins non commerciales sont généralement plus équitables. »
    • La nature de l’utilisation : « En général, une copie unique est plus susceptible d’être équitable que des copies multiples et/ou largement distribuées. » Or, la plupart des REL étant numériques et donc multipliables à l’infini, et qu’au surplus on cherche à ce qu’elles soient largement diffusées, le Code avance que ce facteur « tendra presque toujours vers l’injustice. »
    • L’ampleur du travail copié : « L’œuvre ne doit pas être utilisée au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif de l’opération ».
    • L’existence de solutions de rechange à la copie : « La copie d’une œuvre est plus susceptible d’être équitable si aucune solution de rechange raisonnable à cette pratique n’existe. Lors de la copie de contenu pour l’inclure dans une REL, les sélections soigneusement sélectionnées et utilisées à des fins pédagogiques tendront vers l’équité. »
    • La nature de l’œuvre copiée : « Copier des œuvres qui ne sont pas confidentielles ou qui étaient destinées à être largement partagées est plus susceptible d’être équitable. »
    • L’effet de la copie sur le marché commercial de l’œuvre originale : « La copie aura tendance à être équitable si elle n’a pas d’impact négatif sur les ventes de l’original. »

Bonne pratique de reconnaissance du recours à l’utilisation équitable

Au terme de l’évaluation, si l’on conclut que l’insertion dans notre REL d’une œuvre protégée se qualifie pour se prévaloir de l’exception d’utilisation équitable, il est fortement recommandé — bien que non requis par la Loi sur le droit d’auteur (en particulier dans le contexte éducatif, voir p. 14) — de signaler que l’on utilise une œuvre protégée. Les bonnes pratiques académiques en matière de citation des sources devraient nous amener à produire « un référencement clair des insertions dans les REL … [pour] éliminer toute ambiguïté pour les autres personnes qui pourraient par la suite adapter ou réutiliser le travail ». Deux éléments gagnent à être faits à cet égard.

  • D’abord, le Code propose de reconnaître tout recours à l’utilisation équitable en insérant sous forme de légende à la suite de l’œuvre protégée (p. 27) :

L’illustration, provenant de [SOURCE] est incorporée sur la base d’une
utilisation équitable

  • De même, lorsque les personnes créatrices de la REL vont signaler la licence libre utilisée pour leur ressource, il est important de déclarer que celle-ci ne s’applique pas à tous les éléments de la REL (p. 27) :

Ce travail est sous licence CC BY-NC, à l’exception du contenu
explicitement étiqueté autrement.

Cas courant de recours à l’utilisation équitable lors de la création de REL

Puisque toute évaluation relative à l’utilisation équitable est fortement contextuelle et sujette à interprétation, le Code signale qu’il ne prétend pas être exhaustif. Toutefois, il présente le grand intérêt de proposer quatre scénarios fréquents pour s’exercer à évaluer des cas inédits. Ces scénarios pourront servir d’inspiration pour produire une évaluation visant à déterminer si l’on peut se prévaloir de l’exception d’utilisation équitable lors de la création d’une REL.

Chaque scénario, développé sur 2 ou 3 pages, se base sur le même canevas. Il comprend 4 parties : 1) une description d’une situation spécifique (l’intention pédagogique qui motive l’insertion d’une œuvre protégée en particulier dans une REL) ; 2) une explication des principes de l’évaluation du caractère équitable de l’insertion, en s’appuyant sur « les meilleures pratiques identifiées par la communauté des REL » ; 3) des considérations et nuances additionnelles ; 4) des exemples de cas notables qui demandent une évaluation particulière, car potentiellement non couverts par les bonnes pratiques.

Voici les points clés à retenir pour chaque scénario proposé par le Code :

  1. Les insertions comme objets de critiques et de révision : imaginons un manuel disciplinaire sous licence libre qui contient des œuvres protégées (des publicités dans un cours d’éducation aux médias, des poèmes dans un cours d’études littéraires contemporaines, etc.).
    • Bon à retenir : « La quantité d’une œuvre qui comprend l’insertion doit toujours être appropriée par rapport à l’objectif pédagogique qu’elle poursuit. L’utilisation d’un poème ou d’une illustration entière peut être justifiée, si cela est raisonnablement nécessaire pour effectuer l’analyse ou la critique prévue. […] Lorsque des insertions sont incluses et invitent à exercer des compétences critiques, les REL doivent inclure des conseils, tels que des annotations ou des questions de réflexion, pour démontrer un objectif pédagogique objectif ».
  2. Les insertions à des fins d’illustration : situation où la personne enseignante utilise des médias pour enrichir son matériel pédagogique, notamment pour offrir des exemples concrets.
    • Bon à retenir : « Pour les insertions illustratives, les facteurs critiques à évaluer comprennent le but réel et le motif de l’utilisation, la quantité d’œuvres originales copiées, les solutions de rechange disponibles à l’utilisation des insertions sélectionnées et l’impact que l’utilisation des insertions peut avoir sur le marché pour l’œuvre originale. […] Les utilisations exclusivement ou principalement décoratives doivent être évitées, lorsqu’elles n’enrichissent pas substantiellement la finalité pédagogique et la narration du matériel pédagogique. »
  3. L’intégration de contenu comme matériel pédagogique : exemple où l’on propose aux personnes étudiantes des contenus protégés dans un manuel pour développer des compétences ou se familiariser avec un champ de connaissance à l’étude (par exemple : copier l’intégralité d’un article de magazine sur un sujet de société faisant l’objet d’un apprentissage dans un manuel de science politique).
    • Bon à retenir : « Pour déterminer si leur utilisation constitue une utilisation équitable, il sera important d’identifier un véritable objectif pédagogique par opposition, par exemple, au simple divertissement ou à la jouissance du matériel source. […] Dans certains cas, par exemple, l’utilisation équitable peut justifier l’incorporation d’un court article complet nécessaire à la réflexion ou à la réponse étudiante, mais pas d’un texte plus long lorsque seule une partie du travail est intéressante aux fins pédagogiques. »
  4. La réutilisation du contenu pédagogique existant comme matériel éducatif : scénario où une personne enseignante réutilise, dans la REL qu’elle crée, du contenu provenant d’un manuel développé par un éditeur commercial, comme des schémas ou des questions de quiz.
    • Bon à retenir : « L’utilisation équitable peut soutenir l’incorporation sélective d’éléments de ressources éducatives existantes qui ne sont plus utilisés actuellement ou qui ne sont plus commercialement viables. […] Lors de l’évaluation de l’effet de l’utilisation sur le marché de l’œuvre, l’utilisation du contenu d’œuvres non commercialisées est plus susceptible d’être considérée comme neutre ou tendant vers l’équité. »

Conclusion

Ce document technique est promis à être un incontournable en matière de prise de décision pour interpréter les cas spécifiques des personnes enseignantes dans les établissements d’enseignement postsecondaire au pays qui ont maille à partir avec les subtilités de l’exception pour utilisation équitable en contexte de création de REL, voire au-delà.

À cet égard, mentionnons en terminant la présence d’une synthèse fort utile en Annexe 1. Celle-ci retrace en 9 pages les faits saillants de l’histoire de l’utilisation équitable au Canada, de son origine à son évolution actuelle. Il s’adresse à toute personne désireuse d’en apprendre davantage sur le dossier de l’utilisation équitable, ou qui désire s’en rappeler les fondamentaux, et pourra tirer profit de cette lecture. Le Code contient également une seconde annexe sur le domaine public et une troisième annexe consacrée aux enjeux posés par la réutilisation d’œuvres autochtones dans le contexte de REL.

Bibliographie

  • Code de bonnes pratiques en matière d’utilisation équitable des ressources éducatives libres – Un guide pour la création, l’adaptation et l’utilisation de matériels d’enseignement et d’apprentissage sous licence libre au Canada © 2024 Association des bibliothèques de recherche du Canada sous licence CC BY 4.0. Adaptation du Code of Best Practices in Fair Use for Open Educational Resource disponible à l’adresse auw.cl/oer sous licence CC BY 4.0, sous la direction de Meredith Jacobs, Peter Jaszi, Prudence S. Adler et William Cross.

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