L’IA a mangé nos devoirs : qu’est-ce qui arrive après ?
5 points clés pour comprendre et s’adapter aux changements en éducation
Notre veille éducative regorge d’articles sur les impacts de l’intelligence artificielle en éducation. Déjà, dans son billet « The Homework Apocalypse », Ethan Mollick, professeur à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, anticipait un automne singulier pour le monde de l’éducation. Aujourd’hui, il capte à nouveau notre attention en ce début de trimestre avec son dernier article : « Post-apocalyptic Education: What Comes After the Homework Apocalypse ».
Mollick propose plusieurs points clés pour mieux comprendre cette révolution et apprendre à s’y adapter. Les voici :
1. L’IA est déjà omniprésente
En mai 2024, une étude américaine a révélé que 82 % des personnes étudiantes universitaires et 72 % des élèves du primaire et du secondaire utilisaient déjà l’IA dans le cadre de leurs études. C’est l’actuelle réalité. Les étudiant·es utilisent l’IA pour rédiger des devoirs et résoudre des problèmes complexes, ce qui en fait un·e « partenaire de classe » incontournable. Face à cette adoption rapide, il est impératif de comprendre que l’IA est déjà bien installée dans notre système éducatif.
2. La triche : un vieux problème amplifié par l’IA
La triche a toujours existé, mais l’IA la rend plus facile et tentante. Pourquoi ? Parce que l’action d’apprendre est difficile et demande des efforts, alors que l’IA propose un raccourci alléchant. Comme le souligne Ethan Mollick, « l’effort intellectuel est l’essence même de l’apprentissage ». Le véritable défi pour le corps professoral est donc de rendre l’apprentissage si engageant que l’IA devienne un soutien plutôt qu’une échappatoire. L’IA ne doit pas remplacer le processus d’apprentissage, mais l’enrichir.
« The Homework Apocalypse has already happened and may even have happened before generative AI! Why are more people not seeing this as an emergency? I think it has to do with two illusions. »
Ethan Mollick
3. Les illusions à éviter
Selon Mollick, deux illusions majeures brouillent notre perception de l’impact de l’IA en éducation :
– L’illusion de la détection :
- Beaucoup d’enseignant·es croient encore pouvoir repérer facilement les travaux générés par l’IA. Pourtant, la technologie a évolué au point de rendre cette détection très difficile, voire impossible. À ce jour, rares sont ceux et celles qui ont adapté leur approche pédagogique et d’évaluation pour faire face à cette illusion de détection.
« No specialized AI detectors can detect AI writing with high accuracy and without the risk of false positives, especially after multiple rounds of prompting. Even watermarks won’t help much. »
Ethan Mollick
– La connaissance illusoire :
- Les étudiants et étudiantes peuvent avoir l’impression d’apprendre en utilisant l’IA, mais ils s’en remettent souvent à elle sans réellement développer leurs compétences.
- Une étude menée à Rutgers University en 2020 a révélé que les personnes étudiantes ne réalisent pas que leur stratégie (utiliser Internet pour les devoirs) nuit à leurs résultats d’examens. L’ensemble des personnes sondées pensent logiquement que si leurs notes de devoirs s’améliorent, leurs notes d’examens suivront. Un phénomène similaire semble se produire avec l’IA, comme l’a révélé une étude réalisée par certains des collègues de Ethan Mollick à l’Université de Pennsylvanie. Les étudiant·es pensaient avoir beaucoup appris, alors qu’en réalité, ce n’était pas le cas. L’utilisation de ChatGPT standard pour les devoirs a fait augmenter les notes des devoirs, mais a entraîné une baisse de 17 % aux examens finaux.
4. L’importance de l’accompagnement dans l’utilisation de l’IA en éducation
Cependant, comme le démontre cette récente étude de la Wharton School en 2024, les personnes étudiantes qui utilisent l’IA avec un encadrement pédagogique clair obtiennent de meilleurs résultats sans nuire à leurs performances. L’utilisation de ChatGPT avec une requête (prompt) de tutorat spécifique (appelé GPT Tutor) a permis d’améliorer les notes des devoirs sans nuire aux résultats des examens finaux. La clé réside donc dans un accompagnement structuré, permettant aux étudiant·es de tirer pleinement parti de l’IA plutôt que de l’utiliser de manière autonome. Sans encadrement, l’IA peut freiner l’apprentissage, mais bien encadrée, elle peut également le renforcer.
5. Stimuler la réflexion, sans la remplacer
L’avenir de l’éducation repose sur des exercices et des requêtes (prompts) qui stimulent la réflexion critique, plutôt que sur des tâches facilement automatisables par l’IA. Des requêtes bien structurées permettent de révéler les fausses certitudes et d’exposer les illusions de connaissance. Les étudiant·es seront ainsi confronté·es à ce qu’ils savent réellement et à ce qu’il leur reste à apprendre, en utilisant l’IA comme un véritable partenaire de pensée critique. L’objectif n’est pas de remplacer l’effort intellectuel par l’IA, mais d’encourager chacun·e à l’utiliser pour enrichir sa réflexion.
Selon Mollick, les personnes enseignantes qui utilisent l’IA non seulement pour créer du contenu, mais aussi pour enrichir leur propre réflexion en tirent le plus grand bénéfice. L’IA devient alors un outil de réflexion et d’enseignement, plutôt qu’un simple générateur de tâches. Elle permet aux enseignant·es de perfectionner leur pédagogie et de mieux comprendre les besoins de leur classe.
« A recent deep qualitative study of teachers found that teachers who used AI for both output (create a worksheet, develop a quiz) and to help with input (help me think through what makes a Great American novel, give me ways to explain positive and negative numbers) get more value than if they use AI for producing output alone. »
Ethan Mollick
Constats
- Le corps enseignant n’est pas sur le point d’être remplacé par l’IA, mais plutôt renforcé par celle-ci. Les enseignant·es doivent s’investir dans le processus d’utilisation de l’IA.
- L’IA dans l’éducation n’est plus un concept, mais une réalité bien présente. Il est donc essentiel de repenser en profondeur nos méthodes d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation. Comme le souligne Ethan Mollick, « la question n’est pas de savoir si l’IA va transformer l’éducation, mais comment nous allons façonner cette transformation ».
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