Les tendances qui façonneront l’enseignement supérieur d’ici 2034
Horizon Report 2024 d’Educause
Depuis le lancement du Collimateur en 2022, chaque publication du rapport annuel Educause relatif aux tendances de fond dans l’enseignement supérieur est vivement attendue et donne lieu à un billet qui en résume les faits saillants (lire le billet des éditions 2022 et 2023). Comme à l’habitude, la plus récente mouture propose la synthèse de discussions menées avec un panel d’experts, décliné en cinq grandes tendances à suivre qui ont un impact sur le milieu de l’éducation : société, technologie, économie, environnement et politique.
Une nouveauté cette année : l’intelligence artificielle est promue à titre « catégorie honoraire », ce qui lui vaut d’être passée au crible des cinq grandes tendances. Un tel traitement analytique est fort pertinent considérant l’importance majeure qu’occupe désormais cette technologie dans toutes les sphères de l’activité humaine.
Ce qui se dessine à l’horizon
En résumé, voici ce qui faut retenir de chaque tendance.
Tendances sociales : La perception de la valeur de décrocher un diplôme d’études supérieures est en baisse, bien qu’un nombre important d’études démontrent que les personnes qui poursuivent des études en tirent de bénéfices multiples, notamment socio-économiques.
Par ailleurs, le corps étudiant se diversifie de plus en plus, ce qui devrait amener les institutions d’enseignement à mieux préparer les personnes enseignantes aux besoins et réalités des personnes aux parcours non traditionnels qui décident de fréquenter l’université, mais aussi aux désirs de flexibilité qui s’est normalisée depuis la COVID-19 et qui est une demande de la population étudiante.
Tendances technologiques : L’omniprésence du recours au numérique dans toutes les facettes de la vie universitaire pose un enjeu crucial de cybersécurité. Comme le signale un expert consulté par Educause : « Il est effrayant de penser qu’il suffit d’un clic sur un hyperlien fallacieux pour mettre hors service toute une université » (p.10, traduction libre).
De même, la mise en ligne des informations de tous pose un enjeu majeur de respect de la vie privée. Garantir la sécurité des infrastructures et des données est susceptible de poser des enjeux de facilité d’accès à celles-ci.
Tendances économiques : Le rapport avance qu’il existe une demande accrue de la part du marché du travail pour que les personnes qui sortent de l’université possèdent des compétences directement mobilisables.
Dans un contexte financièrement complexe où les inscriptions sont en baisse, les universités doivent essayer de maintenir un curriculum aligné avec l’industrie, ce qui peut s’avérer difficile considérant les changements constants du marché de l’emploi.
Les programmes courts visant les personnes qui veulent se requalifier ou visant à mettre à jour leurs compétences sont des avenues importantes pour attirer de nouvelles inscriptions.
Les compétences vertes (green skills) nécessaires pour faire face aux changements climatiques est une demande provenant du marché du travail qui ira en agrandissant et que les universités doivent proposer pour former la génération de demain.
Tendances environnementales : Les personnes étudiantes sont intéressées par l’écologie et le climat, ce qui devrait amener les universités à prendre véritablement en considération leurs préoccupations.
Au-delà d’un simple effet de mode, la prise en compte de l’impact écologique des activités universitaires est considérée par les experts sollicités comme un défi de taille qui doit être abordé avec sérieux, et ce, suivant une approche multifacette : gestion de données et des infrastructures visant une empreinte carbone plus faible, modification du curriculum pour prendre en compte les enjeux écologiques, mais aussi l’impact écologique de l’IA générative qui, on le sait, est gourmande en énergie, etc.
Tendances politiques : Les tensions politiques abondent dans la société, ce qui n’épargnera pas les campus (pensons par exemple aux mobilisations liées au conflit israélo-palestinien).
Le fait que l’année 2025 donnera lieu à des élections aux États-Unis, ce qui aura des répercussions ailleurs dans le monde, donne à penser que les clivages idéologiques tendus n’iront probablement pas en s’apaisant. Cela devrait amener les institutions à proposer des ressources et des activités pour que leur communauté universitaire puisse apprendre à débattre sereinement, en évitant les incivilités.
Et l’IA dans tout cela ?
Reprenons ces cinq tendances de fond, cette fois au prisme de l’IA en éducation.
L’IA, en tant que tendance sociale, change nos façons de communiquer.
Elle aura un impact croissant sur nos manières de nouer des relations et de développer nos compétences socioémotionnelles.
Cela devrait être abordé dans les curriculums : comment entrer en relation, mais aussi comment se comporter dans une société ou un milieu de travail souvent médié par des machines qui nous assistent ou accomplissent certaines tâches à notre place.
Quels sont les effets de l’IA sur l’enseignement ? Vaste question.
Il est temps de réfléchir aux acquis de cette vaste expérimentation technopédagogique à grande échelle qui a cours depuis la démocratisation de l’IA générative à la fin de l’année 2022.
Les institutions d’enseignement gagnent à développer des politiques pour encadrer l’utilisation des systèmes d’IA, et à les tenir à jour afin de baliser les pratiques, et ce, en restant en phase avec les plus récents développements technologiques.
L’IA est un moteur économique. Les universités doivent préparer les personnes diplômées à œuvrer dans des milieux professionnels où les systèmes d’IA seront utilisés.
Les universités doivent aussi intégrer l’IA à leurs processus de fonctionnement et à leurs manières de faire pour améliorer, entre autres, l’efficience, la productivité et la créativité.
L’IA est, d’un point de vue environnemental, hautement problématique en raison de sa consommation énergétique importante, mais elle peut aussi être mise à profit pour trouver des solutions aux enjeux écologiques de la société de demain.
Finalement, sur le plan politique, l’IA n’est pas encore pleinement et véritablement régulée par les pouvoirs publics. Nous en sommes encore aux premiers temps en cette matière.
Puisque les risques et les opportunités abondent, il faut mettre en place un cadre légal qui favorise la confiance et la capacité de comprendre les tenants et aboutissants de l’utilisation courante de l’IA au sein de la société civile. Le milieu de l’éducation a assurément un rôle majeur à jouer à cet égard.