Demain, la sobriété numérique dans le monde de l’éducation
La revue Distances et médiations des savoirs vient de faire paraître un dossier substantiel sur la sobriété numérique dans le monde de l’éducation. Cette actualité éditoriale est l’occasion d’explorer un champ de connaissance et d’intervention qui est encore en phase d’émergence, tout en étant voué à prendre de l’ampleur au cours des prochaines années en raison de l’urgence climatique.
Bien que l’on parle d’écologie depuis maintenant plusieurs décennies, la prise en compte de l’empreinte que laissent sur la planète les technologies numériques demeure encore largement négligée par les acteurs et actrices de la formation. Et même lorsqu’ils et elles ont conscience de cet impact, nous apprend une enquête publiée dans ce dossier, leur sentiment de compétence et leur capacité d’agir pour changer les choses sont actuellement très faibles (Descamps et al., 2023).
D’où l’intérêt de cette publication coordonnée par Anca Boboc et Jean-Luc Metzger, tous deux sociologues du travail chez Orange Labs, qui permet de stimuler cette conversation d’avenir en proposant des résultats d’enquête, des entretiens, des retours d’expérience et des recensions d’ouvrages récents qui suggèrent des manières de mettre en pratique la sobriété numérique à tous les niveaux — individuel, organisationnel et sociétal.
Ce bref tour d’horizon, centré sur la contribution des coordonnateurs du dossier, est une invitation à penser et agir au sein de nos institutions d’enseignement, tout en prenant conscience de la complexité des enjeux et « l’importance des efforts à envisager pour faire converger politiques, stratégies, pratiques et représentations, en matière de sobriété numérique » (Boboc et Metzger, Éditorial).
Qu’est-ce que la sobriété numérique ?
Les deux chercheurs à l’origine du dossier avancent que le monde de l’éducation fait face à une double injonction, qui prend la forme d’un paradoxe. D’un côté, les personnes enseignantes et les divers acteurs de la formation sont de plus en plus tenus de numériser leurs pratiques éducatives (surtout depuis la pandémie de Covid-19) et, de l’autre, cette numérisation doit être sobre, c’est-à-dire qu’elle doit atténuer ou chercher à réduire son impact écologique. Ces deux impératifs peuvent-ils être conciliables ?
Cette question invite à en poser une autre, qui est rarement abordée de front selon les auteurs : qu’est-ce donc que la sobriété ? Plusieurs définitions existent, et ce numéro thématique en recense une grande diversité d’un texte à l’autre.
Selon Boboc et Metzger, « deux conceptions opposées [de la sobriété] s’affrontent, l’une prônant la simple adaptation de l’industrie à une croissance verte, l’autre en appelant à un changement radical des modes de vie, de production et de consommation » (Boboc et Metzger, 2023).
Afin de mettre en œuvre la sobriété numérique, trois grandes catégories d’empreintes doivent être prises en compte :
- L’empreinte environnementale, qui considère le cycle de vie des appareils, de l’extraction des minerais, en passant par la fabrication, jusqu’à leur recyclage;
- L’empreinte énergétique, qui touche entre autres à la consommation en électricité permettant de faire fonctionner les équipements (ordinateurs, centre de données, etc.);
- L’empreinte sociale, peu souvent considérée, concerne « les conséquences sociales, politiques, professionnelles, cognitives et culturelles des usages du numérique » (Ibid.).
Monter en compétence, changer les habitudes
« Les étudiants sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à être sensibles à ces sujet environnementaux. Les formations gagneront certainement en attractivité pour celles qui sauront construire et afficher une forme d’éthique environnementale autour de leurs pratiques pédagogiques .»
– Lionel Valet, maître de conférence en informatique à l’université Savoie Mont-Blanc
Les textes du dossier convergent vers l’idée de mener les changements d’habitude à tous les niveaux, autant les « petits gestes » individuels (en s’appuyant sur la règle des 5R : Refuser, Réduire, Réparer, Réutiliser, Recycler) que les grands virages organisationnels, qui doivent eux-mêmes pouvoir prendre appui sur des changements législatifs nationaux, voire internationaux. La complexité des transformations à mener est redoutable.
Dans le contexte de nos institutions d’enseignement, Boboc et Metzenger proposent de « concevoir des formations ad hoc pour apprendre à maîtriser ses transformations. Celles-ci pourraient, par exemple, viser une montée en compétence des ingénieurs pédagogiques pour aider à la montée en compétences des enseignants sur des questions liées au stockage, à l’utilisation des ressources, mais également à la pratique du travail collectif et de la délibération, etc. Il pourrait aussi s’agir de sensibiliser le corps professoral au souci de la sobriété numérique dans leurs pratiques pédagogiques » (Éditorial).
Bibliographie
Boboc et Metzger (dir.) (2023). La formation professionnelle entre injonction à la numérisation et impératif de sobriété [numéro thématique], Distances et médiations des savoirs, 43.
Pour aller plus loin
MOOC de 5 heures consacré aux Impacts environnementaux du numérique
L’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), en France, a créé une formation gratuite d’une durée de 5 heures pour « se questionner sur les impacts environnementaux du numérique, apprendre à mesurer, décrypter et agir, pour trouver sa place de citoyen dans un monde numérique ». Accéder au Mooc.
Référentiel de connaissances pour un numérique écoresponsable
EcoInfo, un regroupement d’ingénieurs et de chercheurs affiliés au CNRS, en France, a créé « un référentiel qui propose un ensemble de connaissances pour les enseignements sur le numérique responsable (impacts du numérique et comment les limiter), à destination de formations de l’enseignement supérieur, en informatique ou d’autres filières incluant des cours d’informatique ». Accéder au référentiel [PDF]