
Sondage pancanadien sur l’apprentissage numérique (partie 2 de 2)
Rapport 2024 de l’ACRFL — En conclusion
« Les technologies numériques sont plus souvent utilisées pour adapter les pratiques pédagogiques que pour les révolutionner. »
(ACRFL, 2024)
Nous continuons l’analyse du rapport de l’Association Canadienne de Recherche sur la Formation en Ligne (ACRFL/CDLRA) à la suite de notre premier billet. L’ACRFL mène depuis plusieurs années des études sur l’apprentissage numérique dans les établissements postsecondaires. Le rapport 2024 consolide les conclusions de deux sondages (printemps et automne 2024) afin de dresser un portrait pancanadien le plus complet possible.
Dans ce deuxième billet, nous aborderons l’analyse des Ressources éducatives libres (REL), l’intelligence artificielle générative, les défis pédagogiques et opérationnels liés à l’apprentissage numérique, puis finalement les compétences enseignantes et le développement professionnel.
Ressources éducatives libres (REL)
Bien que la plupart des personnes interrogées dans l’enquête soient familières avec les REL, leur niveau d’intérêt pour ces derniers reste relativement faible.
- 49 % : ont déclaré « je connais très bien et sais comment les utiliser » (contre 43 % en 2023) ;
- 35 % : ont déclaré « je connais les REL et certaines de leurs possibilités » ;
- Moins de 5 % ont admis ne pas connaître du tout les REL (contre 9 % en 2023).
Ce n’est cependant pas le cas pour la grande majorité des étudiantes et étudiants, qui ignorent leur existence. Selon les conclusions de l’Academica Group :
- 64 % des répondant·es de la communauté étudiante n’en avaient jamais entendu parler, alors même qu’elles pourraient contribuer à réduire les coûts du matériel de cours;
- Parmi ceux et celles qui connaissent les REL, 49 % disent qu’au moins un de leurs cours en a fait usage en 2024-2025.
Ce rapport met en évidence un écart entre la compréhension des REL par les employés des établissements et celle de la communauté étudiante.
En ce qui a trait aux politiques institutionnelles relatives aux REL en 2024, elles restent relativement peu développées.
- 12 % : ont une politique ou stratégie déjà publiée (15 % en 2023) ;
- 5 % : ont une politique publiée dans certains départements ;
- 22 % : ont une « politique informelle » (en hausse légère de 2 % par rapport à 2023) ;
- 31 % : n’ont pas de politique ;
- 24 % : ne savent pas.
L’absence de politique claire ralentit probablement leur adoption massive. L’écart de connaissance entre le personnel et les étudiants démontre un besoin de sensibilisation supplémentaire.
Intelligence artificielle générative
L’IA générative a connu une adoption rapide, ou du moins un intérêt accru. Les répondant·es voient toujours un potentiel (aide aux étudiants, automatisation de certaines tâches), mais ne sont plus aussi confiants sur les avantages immédiats (efficacité, engagement).
En 2024, 85 % des répondant·es s’attendent à ce qu’elle devienne un composant normal de l’éducation dans les prochaines années, mais craignent également qu’elle n’intensifie les problèmes d’intégrité académique.
Plusieurs répondant·es rapportent des dilemmes sur la manière d’ajuster les évaluations et de former les étudiants à un usage éthique de ces outils. En 2024, 83 % des répondants pensent que les étudiants utiliseront l’IA générative pour tricher, tandis que 80 % jugent qu’elle peut servir d’outil d’étude.
Cette ambivalence illustre la nécessité de clarifier l’emploi de l’IA en évaluation. Certains voient aussi une baisse de l’optimisme quant à la capacité de l’IA à rendre l’enseignement plus engageant ou plus efficace. Cela suggère un regard plus prudent que l’an dernier, peut-être dû à une meilleure conscience des limites et risques.
Défis pédagogiques et opérationnels
Défis liés à l’enseignement et à l’apprentissage
- L’intégrité académique est le premier défi urgent mentionné en 2024 (78 % des répondant·es). Les progrès de l’IA générative et la facilité d’accès à des contenus personnalisés renforcent les inquiétudes sur la tricherie.
- La fatigue et l’épuisement des enseignants sont aussi très présents (70 %). Ce problème provient d’une charge de travail plus élevée, liée à la conception et la gestion de cours en ligne, et à l’adaptation continue aux nouveaux outils.
- La littératie numérique des enseignants (64 %) et celle des étudiants (52 %) figurent aussi dans la liste des défis majeurs.
- Les pratiques d’évaluation efficace pour les différentes modalités en ligne demeurent un point sensible (62 %), tout comme l’éventuelle nécessité de s’adapter à divers besoins d’apprenants (55 %).
Défis opérationnels
Les sondages demandaient aux administrateurs de choisir le défi opérationnel le plus urgent parmi une série de choix. Ainsi les défis opérationnels les plus urgents portent sur les répercussions de la numérisation sur la charge de travail du personnel enseignant (26 %) et l’infrastructure technologique requise (matériel, plateformes, support technique, budgets) (22 %).
Parmi ces choix de défis :
- Les administrateurs citent les répercussions sur la charge de travail du personnel enseignant comme principal défi (54 %). Il faut prévoir des mécanismes de soutien et de répartition des tâches pour éviter la surcharge.
- Les infrastructures technologiques (47 %) et la cybersécurité (41 %) sont en haut de la liste des défis. Les établissements doivent s’assurer que leurs outils en ligne sont stables, sécurisés et adaptés aux activités d’apprentissage.
- L’assurance de la qualité (39 %) préoccupe un certain nombre d’acteurs, même si cette thématique semble un peu moins prioritaire qu’en 2023 (47 %).
- On note aussi le besoin de traiter les inégalités (32 %), le recrutement des étudiants (29 %) et la stabilité financière (26 %).
Compétences enseignantes et développement professionnel
Confiance dans les compétences pour différentes modalités
Les répondants estiment que les personnes enseignantes sont largement compétentes pour le présentiel avec intégration minimale de technologies (88 % en 2024), mais la confiance diminue lorsque la part de technologie augmente :
- Présentiel avec intégration importante : 45 %
- Hybride : 39 %
- 100 % en ligne : 23 %
- Multiaccès/comodal : 11 %
Plus la modalité est numériquement exigeante, plus la confiance chute, ce qui renvoie à un besoin accru de formation. Les enseignant·es qui répondent eux-mêmes au sondage se disent plus confiant·es, sans doute en raison d’un biais d’autosélection (ceux qui s’investissent dans le numérique répondent plus volontiers au sondage).
Perfectionnement professionnel
Les sondages d’automne de 2023 et de 2024 demandaient aux répondant·es dans quelle mesure leur établissement proposait du perfectionnement professionnel sur divers sujets, comme l’utilisation de technologies, l’évaluation, l’expertise disciplinaire, puis le soutien et l’engagement des personnes étudiantes.
- Utilisation des technologies : Les établissements offrent diverses formations pour soutenir le personnel, surtout en ce qui a trait au fonctionnement du SGA (52 % signalent « beaucoup » de formation), à l’utilisation de la vidéo et aux stratégies d’intégrité académique. L’IA générative fait l’objet d’un perfectionnement professionnel dans 14 % des cas (« beaucoup »), tandis que la réalité virtuelle immersive et la formation au leadership numérique sont moins répandues.
- Concernant l’évaluation : 30 % des répondant·es disent recevoir « beaucoup » de formation sur les stratégies d’évaluation en ligne, mais 62 % considèrent ce sujet comme un défi. L’intégrité académique dans son ensemble bénéficie d’une plus grande attention en matière de développement professionnel.
- Au-delà de la dimension technologique, les formations portent aussi sur la santé mentale des étudiants (21 % de « beaucoup »), la décolonisation (26 %), l’accessibilité (28 %) et les pratiques pédagogiques efficaces (62 %).
Dans l’ensemble, selon les répondant·es, les sujets de perfectionnement professionnel les plus populaires en 2024 étaient les pratiques pédagogiques efficaces, l’utilisation du SGA de l’établissement et l’intégrité académique.
Conclusion
En somme, à travers ces multiples sondages, l’ACRFL dresse un portrait où l’évolution de l’enseignement postsecondaire canadien se fait pas à pas, sous l’impulsion du besoin de flexibilité des étudiants et des avancées technologiques rendues plus accessibles par la pandémie. Les changements, bien que réels, demeurent progressifs et adaptatifs, sans transformation pédagogique profonde à court terme.
L’ampleur de ces évolutions dépendra de la capacité des établissements à soutenir leur corps enseignant, à assurer la qualité de l’apprentissage et à gérer les défis socioéconomiques (financement, logement, etc.) dans un contexte de plus en plus incertain.
Bibliographie
- Association canadienne de la recherche sur la formation en ligne (ACRFL). (2024). Rapport pancanadien sur l’apprentissage numérique 2024. https://cdlra-acrfl.ca/wp-content/uploads/2024/12/2024-Pan-Canadian-Report_FR.pdf